Se sentir coupable d'être malade
Pourquoi se sent-on coupables de notre condition et en quoi cela nous impacte t-il ?
La maladie et les douleurs chroniques peuvent s’accompagner de nombreuses émotions, parmi lesquelles la culpabilité. C’est le cas d’Hugo, qui la ressent assez fortement aujourd’hui. Prenons le temps de faire un focus sur cette émotion, en se demandant d’abord à quoi elle correspond.
Qu’est-ce que la culpabilité ?
La culpabilité est une émotion dite morale, c’est à dire qu’elle est liée au bien-être de la société ou d’autres individus. Elle survient lorsque nous percevons que nous avons enfreint une norme ou causé du tort à autrui. Elle est souvent associée à un sentiment de responsabilité, ce qui peut nous inciter à “réparer” le dommage qui a été fait.
La culpabilité est à distinguer de la honte. La honte implique une évaluation négative de soi, comme “je suis une mauvaise personne” , tandis que la culpabilité porte sur une action ou une omission spécifique, comme “j’ai fait quelque chose de mal” [1].
La culpabilité peut être adaptative, dans le sens où elle peut permettre des changements positifs, ou dysfonctionnelle, lorsque qu’elle conduit à une autocritique excessive et au mal-être.
La culpabilité que nous ressentons dans le cadre des maladies et des douleurs chroniques peut avoir plusieurs sources, qui proviennent de facteurs psychologiques, sociaux, mais aussi culturels.
Ressentir que tout est de notre faute
Il arrive parfois que nous ressentions que tout est de notre faute. Cela peut être le cas lorsque nous intériorisons les discours médicaux et sociétaux qui attribuent la responsabilité de nos maladies et de nos douleurs à des comportements de vie que nous pouvons émettre. Par exemple si nous sommes fumeur et sédentaire, nous pouvons nous sentir coupable du fait de déclencher une BPCO ou une lombalgie.
Lorsque ces discours sont écoutés de manière excessive, nous pouvons nous sentir coupable de tout comportement que nous émettons. Par exemple “si j’ai mal aujourd’hui, c’est que je n’ai pas assez bougé”, “je n’ai qu’à manger mieux si je veux me sentir mieux dans ma peau” etc. Ici, il s’agit donc d’une culpabilité liée à de l'auto-attribution : “c’est de ma faute si je suis dans cet état là”.
Pourtant, émettre des comportements de santé, c’est à dire des comportements qui nous permettent d’être en meilleure santé, est plus difficile à mettre en place qu’il n’y paraît, et il est par contre commun de recevoir des jugements à cet égard. Nous en parlerons plus en détail dans un prochain article.
Ressentir que nous blessons autrui
La dépendance qui découle de la maladie peut engendrer le sentiment d’être un fardeau pour les proches. La pression implicite selon laquelle il ne faut pas déranger et qu'il faut être utile à la société peut venir exacerber ce sentiment. Cette culpabilité peut d’ailleurs être renforcée lorsque nous percevons des signes de lassitude ou de stress chez nos proches et aidants. Ici, il est question d’une culpabilité sociale et familiale : “si mes proches ne vont pas bien, c’est à cause de moi”.
Dans certaines sociétés, la maladie peut d’ailleurs être perçue comme une faiblesse, ce qui peut accentuer le ressenti de culpabilité. Nous pouvons intérioriser cette stigmatisation, ce qui peut nous pousser à nous reprocher nous-même notre état et à minimiser notre besoin en soins.
Ressentir que nous avons blessé l’univers
Certains développent un autre type de culpabilité, car ils pensent qu'ils ont mérité leur condition. Selon la théorie de la croyance en un monde juste, les humains ont tendance à penser que chaque événement a une cause morale, c’est à dire que “les bonnes choses arrivent aux bonnes personnes et les mauvaises choses arrivent aux mauvaises personnes”. Evidemment, de telles croyances peuvent nous pousser à nous auto-blâmer, car la présence de la maladie signifierai que nous sommes une mauvaise personne ou que nous l’avons mérité [2]. Ces réflexions peuvent apparaître lorsque nous sommes en quête de sens face à notre souffrance. Il s’agit ici d’une culpabilité existentielle et spirituelle : “ je suis malade car c’est l’univers qui me punit”.
L'impact de la culpabilité sur la santé psychologique et physique
La culpabilité excessive peut avoir des effets délétères sur la santé. En effet, le fait de ruminer notre culpabilité entretient un état de tension émotionnelle qui augmente le stress et l’anxiété [3], ce qui peut impacter négativement les symptômes de la maladie. Il a aussi été montré que les émotions douloureuses comme la culpabilité peuvent intensifier la perception de la douleur [4].
Une culpabilité durable non résolue peut amener à des sentiments de tristesse profonde, de honte et de repli sur soi. Cela peut mener à un état dépressif et à de l’isolement [5]. Nous pouvons également imaginer que la culpabilité, puisqu’elle facilite l’auto-punition, peut nous pousser à mettre en place des comportements délétères pour nous et pour notre santé.
Que faire de tout cela ?
Comme nous l’avons vu, la culpabilité existe de par des facteurs psychologiques, sociaux, mais aussi culturels.
Nous reparlerons d’approches concrètes et précises pour alléger la culpabilité sur le plan psychologique dans un prochain article, en revenant également sur la question des comportements de santé. En attendant, voici quelques pistes pour pouvoir faire face aux autres aspects que nous avons abordés :
Pour la culpabilité sociale et familiale, c’est la communication avec nos proches qui va s’avérer primordiale. Dans un premier temps, partager avec eux notre ressenti afin de recevoir du soutien peut s’avérer bénéfique. (Voir l’article sur le soutien social si ce n’est pas déjà fait!)
Si nous pouvons régler ce qui nous fait ressentir de la culpabilité vis-à-vis d’autrui avec les personnes en question, cela serait l’idéal. Par exemple, si votre aidant lève les yeux au ciel quand vous lui demandez un service et que cela vous fait sentir coupable, l’idée serait d’adresser cela directement avec lui.
En ce qui concerne la culpabilité existentielle, c’est peut-être auprès de certaines approches philosophiques, spirituelles ou religieuses que chacun peut y trouver des réponses. Cela peut donc valoir le coup d’aller creuser ces aspects là, que ça soit seul ou à plusieurs.
Également, puisque la société peut nous pousser à nous sentir coupable, cela amène à d’autres questionnements : comment voulons-nous nous positionner par rapport à cette dernière ? Souhaitons-nous plutôt l’ignorer ? Nous rebeller ? Ou y aurait-il peut être d’autres approches encore ? Nous prendrons également le temps dans un autre article de parler plus en détail de notre position de malade dans la société et comment modifier notre rapport à celle-ci.
En attendant, la psychologue d’Hugo l’attend pour une nouvelle séance. On se dit à une prochaine fois !
Pour aller plus loin :
[1] Tangney, J. P., & Dearing, R. L. (2002). Shame and guilt. Guilford Press. https://doi.org/10.4135/9781412950664.n388
[2] Lerner, M.J. (1980). The Belief in a Just World. In: The Belief in a Just World. Perspectives in Social Psychology. Springer, Boston, MA. https://doi.org/10.1007/978-1-4899-0448-5_2
[3] Cândea, D.M., Szentagotai-Tătar, A. (2018) Shame-proneness, guilt-proneness and anxiety symptoms: A meta-analysis, Journal of Anxiety Disorders, Volume 58, Pages 78-106, ISSN 0887-6185, https://doi.org/10.1016/j.janxdis.2018.07.005.
[4] Serbic, D., Evangeli, M., Probyn, K. and Pincus, T. (2022), Health-related guilt in chronic primary pain: A systematic review of evidence. Br J Health Psychol, 27: 67-95. https://doi.org/10.1111/bjhp.12529
[5] Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5th edition, Text Revision (DSM-5-TR). American Psychiatric Association Publishing, Washington, DC, pp 177-214.