L'art de demander de l'aide
Et pourquoi les douleurs et le handicap nous bloquent si souvent.
Dans notre dernier article sur les émotions, nous parlions du fait que Zoé, apeurée, soit allée chercher Hugo afin de l’accompagner à son rendez-vous chez le rhumatologue. Bonne nouvelle, Hugo a bien entendu accepté de lui rendre ce service.
Toutefois, cela n’a pas toujours été si simple pour elle de demander de l’aide, et nous pouvons être nombreux à nous identifier à cette ancienne version de Zoé. C’est pourquoi nous allons aborder aujourd’hui cette question de la demande d’aide, ce qui fait que c’est si difficile, ainsi que quelques astuces pour pouvoir surmonter cela.
Demander de l’aide, c’est quoi ?
Demander de l’aide, c’est une stratégie d’adaptation à part entière qui permet de mobiliser des ressources externes pour mieux faire face à une situation de stress ou de souffrance [1]. Nous demandons donc de l’aide afin d’obtenir du soutien, qui est une ressource d’autant plus importante lorsque nous sommes atteints de handicap invisible et de douleurs chroniques.
Nous creusions cet aspect dans cet article là, je vous laisse donc aller le (re)lire pour éviter les redites :
Selon les études en psychologie, demander de l’aide est un processus complexe qui implique de nombreux facteurs. Ce n’est effectivement pas un acte anodin : il touche à notre identité, à notre estime de soi, à nos dynamiques relationnelles et à notre perception du soutien social.
Le besoin d’autonomie
Tout d’abord, nous savons que l’autonomie fait partie de nos besoins psychologiques fondamentaux, avec le fait de se sentir compétent et de sentir que l’on appartient à un groupe [2]. Pour certains, demander de l’aide correspond à faire un aveu de faiblesse, et représente une forme de perte d’autonomie [3], ce qui complique donc l’émission de ce comportement. Ce sujet de l’autonomie est d’ailleurs particulièrement épineux lorsque nous sommes en situation de handicap ou que nous souffrons de douleurs chroniques. Nous reviendrons en détail sur cela dans un prochain article.

La menace du stéréotype
Malheureusement, le jugement et la stigmatisation gravitent autour des personnes atteintes de douleurs chroniques et de handicap invisible, et ce, même auprès des professionnels de santé [4].
Qui n’a jamais entendu que “la douleur est dans la tête”, qu’il “faut faire un peu plus d’efforts”, que “c’est sûrement du stress” et que l’on “a pourtant l’air d’aller bien” ? Au delà du fait que ces phrases sont évidemment nocives, elles ont aussi un rôle à jouer dans le fait de demander de l’aide.
On parle ici de ce que l’on nomme en psychologie la menace du stéréotype. Il s’agit d’une crainte qu’un individu, appartenant à un groupe négativement stéréotypé, peut ressentir lorsqu’il risque de confirmer, par sa performance ou son comportement, le stéréotype négatif associé à son groupe.
Une personne douloureuse chronique qui entend à longueur de journée qu’il faut qu’elle fasse plus d’efforts peut donc ressentir de la peur à l’idée de demander de l’aide. Car en effet, si elle émet ce comportement, elle risque de renforcer la croyance que “les personnes douloureuses ne font pas assez d’efforts”. Bien-sûr, cette croyance est tout à fait fausse, mais malheureusement, ce discours négatif peut être intériorisé malgré nous.
Puisque nous sommes perçus comme exagérant notre souffrance, cela peut d’ailleurs nous pousser à minimiser nos besoins [4].
En raison des normes de masculinité qui valorisent leur indépendance, les hommes sont d’ailleurs souvent moins enclins à demander du soutien [5]. Pourtant, il n’y a rien qui dit que les hommes ont moins besoin d’aide. Les stéréotypes rendent vraiment la vie dure à tout le monde !
Produire l’effort de la demande
En période de douleur ou de fatigue intense, l’effort nécessaire pour formuler une demande d’aide peut être un obstacle. Nous allons donc détailler ici quelques clés pour pouvoir demander de l’aide simplement et efficacement.
Tout d’abord, il convient d’identifier les forces de chaque personne de notre entourage. Hugo est souvent disponible pour nous accompagner quelque part, Luce peut nous véhiculer, Tom peut nous aider financièrement…
Nous pouvons d’ailleursdemander à nos proches quelles sont leurs disponibilités. Attention, si nous sommes trop fatigués, retenir l’information risque d’être compliqué ! Il faut donc noter cela quelque part afin d’avoir accès à ces informations lorsque nous en avons besoin.

Idéalement, nous formulons toujours nos demandes en parlant à la première personne, et en ciblant de la manière la plus spécifique possible ce dont nous avons besoin. N’hésitons pas à nous entraîner !
Légitimiser
Ce n’est décidément pas facile de demander de l’aide. Si cela peut nous aider, gardons dans un coin de la tête que demander de l’aide est quelque chose de normal. Puisque nous sommes une espèce sociale, c’est adapté d’aller chercher du soutien et d’en recevoir. Au contraire, comme nous le disions plus haut, c’est une ressource très importante pour faire face au stress [1] !
Chacun à notre manière, nous aidons autour de nous, sans même nécessairement nous en rendre compte. D’accord, Luce nous emmène au kiné. Mais Luce est également très contente de nous retrouver pour partager un moment avec nous. Et puis d’ailleurs, comme certaines personnes, Luce a le sens du partage et de l’aide aux autres. N’hésitons donc pas à chercher ceux qui sont comme Luce autour de nous.
Par ailleurs, le fait d’avoir des douleurs ou un handicap invisible ne fait pas de nous une personne encore moins légitime à demander de l’aide. Oui, cela peut nous arriver plus régulièrement d’avoir besoin de soutien mais justement ! Si nous sommes plus vulnérables, c’est d’autant plus normal de recevoir de l’aide.
Rappelons-nous qu’à tout moment, nos proches peuvent également nous dire qu’ils ne sont pas disponibles pour nous aider. Auquel cas, c’est à eux de dire non et non pas à nous d’anticiper pour autrui (sinon, on s’en sortirai jamais) !
Dans un prochain article, nous verrons plus en détail comment réussir du mieux possible à ignorer ces petites voix qui nous gâchent la vie. En attendant, si nous avons besoin d’aide et que nous voulons nous challenger, essayons d’ici la prochaine fois d’en demander un tout petit peu plus que d’habitude.
On se dit à bientôt !
Pour aller plus loin :
[1] Lazarus, R., & Folkman, S. (1984). Stress, Appraisal, and Coping. New York: Springer.
[2] Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2000). Self-determination theory and the facilitation of intrinsic motivation, social development, and well-being. American Psychologist, 55(1), 68–78
[3] Charmaz, K. (1991). Good days, bad days: The self in chronic illness and time. Rutgers University Press.
[4] De Ruddere, Liesa,*; Craig, Kenneth D.b. Understanding stigma and chronic pain: a-state-of-the-art review. PAIN 157(8):p 1607-1610, August 2016. | DOI: 10.1097/j.pain.0000000000000512
[5] Mahalik, J. R., Burns, S. M., & Syzdek, M. (2007). Masculinity and perceived normative health behaviors as predictors of men’s health behaviors. Social Science & Medicine, 64(11), 2201–2209